Violence conjugale: présumés coupables
La violence conjugale est un terrible fléau, comme en témoignent les manchettes chaque jour. Mais, parfois, il arrive que de fausses accusations soient portées au détriment de la vérité. Voici l’histoire d’hommes qui ont comme point commun d’être père et d’avoir été faussement accusés de violence conjugale ou d’agression sexuelle. S’étant sentis «présumés coupables» dès leur arrestation, ils ont eu du mal à faire la preuve de leur innocence. Incursion dans un côté sombre – et tabou – du système de justice. FAUSSEMENT ACCUSÉS / 1re de 3
«T’es un criss de pourri!»
Jérôme* arrive chez son ex avec les enfants, le ton monte entre les deux, elle entre à l’intérieur, compose le 9-1-1.
«Elle hurle dans la maison, elle dit qu’elle a peur. Moi, je suis dans mon auto, super calme. Elle sort, elle me tend le téléphone, je parle au policier et je lui dis que je ne suis pas agressif, que c’est une séparation difficile, mais que tout va être correct. Il me dit, “fais juste t’éloigner, on va envoyer une voiture pour voir.”»
Jérôme s’éloigne, quand il voit les policiers, il leur fait signe de la main.
«Ils sont arrivés à deux chars, quatre flics avec des gros pipes… Tu m’as-tu vu la shape? Ils me disent que je suis en état d’arrestation, j’ai dit “Wo, minute! ” Ils m’ont dit pas de “parlage” et ils m’ont menotté…» Jérôme a fait un black-out, il a figé sur place, incapable de bouger.
Ça pouvait ressembler à un refus de collaborer. «Quand je suis revenu à moi, j’ai entendu un des deux policiers me dire, “si t’embarques pas, on va te poivrer.”»
Jérôme est monté dans la voiture, devant ses enfants et ses voisins.
Les policiers l’ont conduit au poste du parc Victoria. «Je pleurais. Le policier du côté passager m’a crié des bêtises tout le long, il m’a traité de “criss de pourri”. L’autre policier était gentil, il a même dit à son collègue un moment donné, “c’est assez! ” On est arrivés au poste Victoria. Maintenant, je sais ce qu’il y a l’autre bord de la porte, quand on voit des photos de prévenus qui se font arrêter…»
Il y avait deux armoires à glace. «Le policier qui était gentil a dit, “c’est beau les gars, vous n’aurez pas de problèmes avec, c’est un bon monsieur, il collabore.”»
Ils l’ont mis dans la cellule numéro 13.
Naïvement, Jérôme pensait qu’il allait pouvoir donner sa version de l’histoire, qu’on écouterait ce qu’il avait à dire. «Ils ont fait venir l’avocat de garde, ça a duré 30 secondes. Il m’a dit, “on va faire ça court, tu ne dis rien”. J’ai rencontré deux enquêteurs après ça, ils m’ont posé des questions, je leur ai dit, “je vous parlerais bien, mais l’autre clown m’a dit de ne pas vous parler…”»
Il a dû se mordre les lèvres. «Je voulais vraiment parler, leur dire que ce n’était pas vrai, que je n’avais rien fait.»
Il a quand même pris le temps de leur poser une question. «Mettons que t’as un couple homosexuel, t’as un appel, t’es devant deux gars, lequel tu menottes? Tu vas te servir de ton jugement, non?»
Les enquêteurs n’ont pas répondu.
Jérôme a du se défendre d’une série d’accusations, dont voie de fait, a réussi à avoir gain de cause et à retrouver, dans un autre procès, la garde partagée de ses enfants. «À la fin, j’ai appelé pour remercier le policier gentil, j’ai même donné 500 $ de plus à l’avocate, elle était émue…»
Rendu là, 500 $ ne faisaient pas une grosse différence. «Si je calcule ce que j’ai payé pour toutes les démarches, le procès au civil, au criminel et la garde des enfants, ça m’a coûté 100 000 $. Je suis sorti lessivé, mais mes enfants, ce n’est pas monnayable.»
Partie avec les enfants
Tarek* avait averti le juge, le procureur, «je leur ai dit de saisir son passeport et ceux des enfants»…
Son ex avait porté de graves accusations, avait inventé de toutes pièces une histoire abracadabrante. «Elle m’avait accusé d’agression, de menace de mort, et d’avoir incité notre fille de deux ans à des gestes sexuels.»
Quand l’étau s’est resserré sur elle, quand l’intervenante de la DPJ et le procureur de la Couronne ont commencé à avoir des doutes sur la véracité de sa version, elle est partie avec les enfants à l’extérieur du pays.
C’est un kidnapping.
Son cauchemar a commencé un dimanche soir, lorsqu’il a trouvé la maison vide à son retour du travail. «J’ai appelé partout, j’étais inquiet. J’ai appelé la police pour savoir où mes enfants et ma femme étaient. Ils ont dit “ne vous en faites pas, vos enfants sont en sécurité”. Ils m’ont demandé de me rendre près du poste, de me garer.»
Il s’y est rendu sur-le-champ. «Quand je suis sorti de ma voiture, deux agents sont venus m’arrêter…»
Il a passé trois jours en prison. «J’avais droit à un seul coup de fil, j’ai appelé mon superviseur pour lui dire qu’il fallait que je garde mon travail, sinon j’étais dans la merde. Je l’ai perdu quelques mois plus tard…» Si c’était seulement ça. «Psychologiquement, j’étais détruit. J’ai subi une injustice, c’est violent, hyper violent. Personne ne voulait me croire ni les enquêteurs ni la DPJ, j’ai eu des envies de suicide. Ma vie était finie…»
Il a contre-attaqué.
«J’ai engagé un expert pour aller chercher des preuves dans son portable, j’ai fait analyser les photos qu’ils avaient déposées en disant que c’était les marques des coups. J’avais demandé à passer le polygraphe, on me l’avait refusé, je l’ai payé moi-même deux fois, j’ai déposé les résultats.»
Le vent a tourné au tribunal de la jeunesse. «L’intervenante de la DPJ, la même qui avait fait un rapport dévastateur contre moi à partir seulement de la version de mon ex, elle est venue me dire “on commence à avoir des doutes…” La plaignante leur faisait de plus en plus faux bond, avec toutes sortes d’excuses.
On voyait dépasser le fil blanc de son histoire.
Après un an et demi de procédures ruineuses, après des milliers de dollars payés en frais d’avocats, les accusations ont été retirées. «Du jour au lendemain, on me libère de tout et on ferme le dossier. Là où j’avais besoin de justice, on m’a laissé tomber, on m’a abandonné, je pensais que le système était impartial…»
Devant l’évidence, on lui a donné la garde complète de ses enfants.
Il ne sait pas où ils sont. «Vers la fin, je les avais avertis, je leur avais dit, “elle va prendre la fuite… Ils ne m’ont pas écouté. Elle est partie, elle est introuvable”. Quand j’ai parlé à Tarek, il venait de déposer une plainte à la GRC et à la DPJ pour enlèvement. Il travaillait à faire émettre un mandat par Interpol.
Il n’a pas vu sa fille depuis presque deux ans, depuis ce dimanche où sa vie a basculé. «Je m’ennuie tellement…»
L’histoire se répète
Martin*, lui, est plongé une deuxiè-me fois dans le même cauchemar. «Je suis accusé d’agression sexuelle sur ma fille et de violence conjugale sur mon ex. C’est la deuxième fois. La première fois, elle a fini par avouer que c’était un coup monté, elle a écrit des lettres d’excuses…»
Et rebelote.
«Ils la croient encore! Je n’en reviens juste pas. Elle multiplie les plaintes contre moi pour avoir la garde des enfants et une pension alimentaire. C’est une roue qui tourne sans fin, on ne s’en sort jamais… Je me bats contre une grosse machine, on devrait être 50-50, les droits devraient être les mêmes que les droits du père!»
Ce n’est pas ce qu’il perçoit.
«Quand j’ai été accusé, j’ai dit “je veux parler” et on m’a répondu “on n’a pas besoin de vous en-tendre”.» Ça fait des plaintes croisées, c’est compliqué, il faut faire deux fois plus de vérifications… J’ai voulu donner la lettre qu’elle avait écrite la première fois, les policiers m’ont dit “on n’a pas besoin de ta preuve…”
Il tient bon. «La machine est tellement forte, tu prouves, tu prouves, t’arrêtes pas de prouver ton innocence. Dans le tordeur, la moitié de ton corps y passe. C’est un miracle que je sois encore debout, avec la garde de mes enfants. C’est un exploit, un exploit. Je devrais être pendu…»
* Les prénoms ont été modifiés.
Comme un sixième sens
«Il y a autour de 2200 plaintes par année pour violence conjugale à Québec. C’est possible que sur le lot, il y ait des dossiers de méfaits publics. Mais ce sont des exceptions. En général, je dirais qu’on arrive à départager le vrai du faux, on a comme un sixiè-me sens, un feeling intérieur.»
Jean Poirier est enquêteur à la Police de Québec, spécialisé dans les dossiers de violence conjugale. Il est conscient du caractère délicat de ces dossiers, où deux versions vont s’opposer, souvent sans autre preuve extérieure. Il ne s’en cache pas, «de facto, on croit la femme». Dans l’enquête, «il faut corroborer ce qu’elle dit. Il faut aussi qu’on ait la certitude qu’il y aura assez de preuve pour aller plus loin».
Des femmes qui font de fausses accusations, il en a vu. Comme cette femme qui a accusé son ex de l’avoir frappée à la sortie d’un bar, l’ex affirmait qu’elle s’était battue avec une autre femme à l’intérieur. Les bandes vidéo ont donné raison au «suspect», la «victime» a été accusée de méfait public. D’avoir porté une fausse accusation.
Même chose pour cette fem-me qui a fait venir les policiers chez elle. «Elle disait que son ex venait de la battre, elle était pleine de bleus, elle en avait partout… Mais les bleus, ils n’arrivent pas tout de suite. Au début, c’est rouge. Deux, trois jours après, ça devient bleu, et jaune.» La fille avait déboulé l’escalier l’avant-veille. Méfait public.
Mais la plupart du temps, les policiers se limitent à ne pas donner suite à la plainte. «Pour porter des accusations, on doit monter une preuve hors de tout doute raisonnable. C’est extrêmement difficile. Alors, quand on a assez de doutes, le dossier n’ira pas plus loin, tout simplement.»
Méthodologie
Les témoignages nous ont été soumis par l’entremise de l’Action des nouvelles conjointes et des nouveaux conjoints du Québec, un organisme dont les quelque 2000 membres ont maille à partir avec un ex, souvent dans une dynamique de séparation difficile et de bataille pour la garde des enfants. Les cas qui ont été choisis ont fait l’objet d’un processus judiciaire. Ils se sont soldés soit par un retrait des accusations, soit par un jugement hors de tout doute de non-culpabilité.