Victime de violences conjugales, Oualid raconte sa descente aux enfers
En France, 28% des victimes de violences physiques et sexuelles au sein du couple sont des hommes : 82 000 victimes par an, selon une enquête réalisée par l’Insee en 2019.
Si la parole se libère petit à petit sur les violences faites aux femmes dans le cadre conjugal, qui représente la majorité des cas, le sujet reste encore tabou pour les hommes. Afin d’en savoir plus, Lorraine Actu a donné la parole à une ancienne victime, au bénévole d’une association et à une doctorante.
Sa conjointe se marie avec lui pour obtenir un titre de séjour
Oualid* est ingénieur en Meurthe-et-Moselle. En 2022, il finit par épouser son amour de jeunesse au Maroc, d’où ils sont tous deux originaires, après 11 ans de relation. Sa femme le rejoint en France quelques mois plus tard. Oualid postule pour un emploi dans un secteur sensible, qui suppose que ses antécédents personnels et ses comptes bancaires soient passés au crible.
Un conflit finit par éclater dans le couple : toujours dans le cadre du recrutement, il doit justifier de dépôts d’argent effectués par sa femme sur le compte commun. Oualid lui demande de fournir des justificatifs, elle refuse. Il finit par découvrir que sa compagne, qui travaille sans être déclarée, a utilisé le compte commun pour déposer les salaires perçus, et a falsifié des fiches de paye avec l’aide de son employeur. Sa candidature est compromise.
Il commence à subir des pressions et des violences psychologiques de la part de son épouse, qui lui avoue l’avoir épousé uniquement dans le but d’obtenir un titre de séjour en France : « Elle m’a menacé de porter plainte pour violences conjugales si je la dénonçais pour travail non déclaré. Elle me dénigrait, me disait que j’étais un bras cassé, que je n’étais pas un homme. Elle me faisait du chantage au suicide. » Il affirme également avoir été frappé par son ex-femme, sans que cela ait pu être constaté par un médecin.
« Ils n’ont pas cru à mon histoire »
Il se rend une première fois au commissariat pour signaler sa situation. Les policiers lui conseillent de déposer une main courante. Dans un courrier transmis au procureur, Oualid mentionne plusieurs refus de prendre sa plainte : « Ils n’ont pas cru à mon histoire. Ils m’ont dit qu’un homme victime de violences, ça n’existait pas ».
Le 29 novembre 2022, alors qu’il vient de déposer une deuxième main courante pour mariage frauduleux, sa compagne lui refuse l’accès au logement. Le jeune homme, diabétique, est en hyperglycémie et a besoin de son dispositif médical, resté à l’intérieur du domicile.
Le jeune homme a tenté de joindre une centaine de fois son épouse et sa belle-famille, sans succès, en leur expliquant l’urgence de la situation. Il finit hospitalisé, et dort à son bureau, ne pouvant plus rentrer chez lui.
Une plainte déposée contre Oualid, qui finit aux urgences psychiatriques
Le lendemain, une plainte est déposée contre lui pour violences conjugales. Il est placé en garde à vue, et finit aux urgences psychiatriques, où on lui diagnostique une dépression. S’il est parvenu ensuite à récupérer les clés de son logement, il a découvert que ses affaires et ses documents personnels avaient disparu. Sans ses diplômes, il a des difficultés à candidater à des emplois dans sa branche.
Le divorce a finalement été prononcé au Maroc en avril 2023. Oualid est à présent bénévole dans une association d’aide aux victimes d’escroquerie sentimentale. Les plaintes qu’il a déposées, ainsi que celle de son ex-compagne pour violences conjugales, sont toujours en cours d’instruction. Ils sont tous les deux présumés innocents.
Des violences difficiles à quantifier
Les victimes masculines représentent 13% des plaintes enregistrées en France pour violences commises par le partenaire et 7% des victimes prises en charges par l’association France Victimes, qui accueille des victimes de violences conjugales des deux genres.
Les hommes victimes de violences conjugales se retrouvent dans toutes les catégories d’âge, et tous les milieux sociaux. D’après l’enquête VIRAGE de l’Ined, 99 % des violences déclarées sont commises dans le cadre de relations hétérosexuelles, quel que soit le sexe. Ces chiffres sont à prendre avec du recul, en raison du manque d’études sur les violences conjugales au sein des couples LGBT+ en France.
Les femmes seraient davantage victimes de violences physiques et sexuelles, quand les hommes subiraient davantage de violences psychologiques, et globalement des faits de gravité moindre.
Cependant, cela reste difficile à quantifier. Il est probable que certains types de violences soient sous-déclarés, en raison du silence des victimes et de la difficulté de prouver les faits. « Le sujet est encore peu documenté », explique Anne le Garnec, qui écrit une thèse sur le sujet.
« Les rapports sous contraintes [viols conjugaux, NDLR] ne sont pas rares« , selon Jean-Noël G. bénévole de l’association SOS hommes battus, qui suit en moyenne 120 à 150 personnes par an. « La violence physique existe aussi, mais les hommes ne la font pas constater, ou alors très tardivement. Elle donne rarement lieu à une plainte. »
Une représentation biaisée
Si l’ensemble des victimes peuvent rencontrer des difficultés à se faire entendre, les hommes peuvent être confrontés à des biais de genre. Un obstacle supplémentaire dans la prise en charge.
« Un homme victime de violences conjugales est un tabou dans le tabou, explique Anne Le Garnec. La société est encore dans la vision de l’homme fort et d’une femme faible. On a aussi du mal à penser les femmes comme potentiellement violentes ».
Jean-Noël G. évoque des situations lors d’interventions de police au domicile, où « l’homme est embarqué, en étant victime de violences devant témoins. Certains viennent porter plainte contre leur compagne et finissent en garde à vue. »
Une problématique peu mise en lumière
Si le travail de fond mené par les associations féministes a permis une meilleure prise en compte des violences faites aux femmes de manière globale, les victimes masculines ont encore peu de visibilité dans l’espace public. « Ce phénomène de libération de la parole ne s’est pas encore produit pour les hommes », note Anne le Garnec. Mais comment améliorer la prise en charge ?
Une solution serait de développer en France des structures d’accueil destinées aux hommes victimes de violences. Une politique qui commence à être appliquée à l’étranger, en Allemagne et en Suisse. « Il n’est pas évident de mélanger les hommes et les femmes dans ces lieux d’accueil », explique Anne Le Garnec.
Il faut se saisir du sujet, « pour éviter qu’il ne soit récupéré politiquement, notamment par les mouvements masculinistes », explique Anne Le Garnec. Un changement qui prendra du temps, selon Jean-Noël G. : « La société n’est pas encore prête à entendre ça. On en a encore pour 20 ans au moins. »
116 006 : numéro national d’Aide aux Victimes, 7j/7 ou par mail (association France Victimes)
08 019 019 11 : Numéro national de prévention destiné aux auteurs de violences.
Signaler des violences conjugales sur internet
permanence téléphonique de SOS Hommes Battus
*Le nom et le lieu de résidence ont été modifiés