Malgré le maintien d’une période de prescription, “on peut porter plainte n’importe quand, rappelle Muriel Salmona, mais il n’y aura pas d’instruction de sa plainte parce que les faits sont prescrits. Mais il est toujours utile de porter plainte, car on peut retrouver d’autres victimes. Un amendement qui n’a pas été retenu permettait une levée de la prescription pour toutes les victimes s’il n’y avait pas prescription pour une seule des victimes”.
Depuis plusieurs années, cette psychiatre travaille sur les mécanismes psycho-traumatiques liés aux viols et aux agressions sexuelles, et notamment la “dissociation traumatique” : “Ce mécanisme génère des amnésies traumatiques qui peuvent durer des années voire des décennies, on n’a plus accès à sa mémoire, il y a un sentiment d’irréalité, les faits sont dans le brouillard“.
“Ce n’est pas la victime qui met en place ce mécanisme de protection, c’est son cerveau qui la protège d’un état de choc total, particulièrement quand les victimes sont confrontées à l’agresseur à répétition”.
Cette “dissociation traumatique”, si elle permet à la victime de survivre, la rend aussi “à l’ouest ; beaucoup de victimes se décrivent comme des automates, ce qui met un mécanisme d’emprise sur elles très facile“. Et c’est ce mécanisme, selon Muriel Salmona, qui “est le facteur principal du fait de subir des violences sexuelles à répétition, si on ne les soigne pas“.
Ne peut-on pas imaginer laisser les souvenirs enfouis là où ils sont ? “Il vaut mieux pouvoir traiter la mémoire traumatique, c’est comme ça qu’on peut sortir d’un mécanisme de survie. Sinon on peut survivre, mais on reste dépossédé d’une partie de soi“, répond Muriel Salmona.
La nouvelle loi va-t-elle inciter plus de personnes à porter plainte pour toucher des indemnités, comme le suggérait un auditeur ? “On ne peut pas dire cela, c’est une procédure maltraitante : il y a 1% de condamnation, et dans l’ensemble, les indemnités, c’est 15 000€ pour quatre à six ans de galère absolue“, explique Muriel Salmona.
“Si les victimes portent plainte, c’est parce qu’elles croient en la justice, et surtout pour qu’il n’y ait pas d’autres victimes”
En France, note-t-elle, “il y a une confusion entre violence sexuelle et sexualité : c’est présent internationalement, mais en France c’est très présent, il y a une minimisation des faits, une culpabilisation de la victime. On a aussi une culture du privilège : certaines personnes peuvent se permettre des transgressions, surtout dans le milieu du cinéma ou de la politique“.
Et cela est aussi lié, selon Muriel Salmona, au manque d’information : “Il faut diffuser les informations, que personne ne puisse échapper à la réalité de la violence, à la gravité de l’impact : une agression sexuelle sur un mineur peut lui faire perdre jusqu’à 20 ans d’espérance de vie. Il ne faut plus tolérer ces violences et ces privilèges donnés à des Hommes“.