Qu’est-ce qu’être une bonne mère ? Selon Jill Churchill, romancière américaine à succès, “il n’y a aucune recette pour devenir une mère parfaite, mais il y a 1001 façons d’être une bonne mère.” Problème : il y en a aussi 1001 façons d’en être une mauvaise.

Mère violente, mère toute-puissante, mère narcissique, mère envieuse ou encore mère absente : selon Terri Apter1, psychologue clinicienne et spécialiste des relations familiales, une génitrice toxique peut présenter des visages divers et variés, avec la souffrance infligée comme expression de son mal-être en guise de dénominateur commun.

C’est celle qui, dès l’enfance, peut reprocher à sa fille de ne pas faire d’efforts pour être suffisamment mince, jolie ou intelligente, celle qui lui avoue chaque jour regretter de l’avoir mis au monde, celle qui lui fait du chantage affectif ou des crises de jalousie, celle qui l’insulte de tous les noms pour un verre d’eau renversé ou l’humilie sans pitié devant ses amis. C’est celle qui, intrusive et dominante, projette ses fantasmes et frustrations personnelles sur sa progéniture, exerce un contrôle maladif et va jusqu’à les priver de mener une existence autonome, quitte à les pousser au suicide comme dans la tragique nouvelle de Jeffrey Eugenides portée à l’écran par Sofia Coppola.

Plus généralement, “ce sont des mères qui n’autorisent pas leur enfant à exister”, définit Véronique Moraldi dans La Fille de Sa mère  (Pocket Editions, 2007). Loin d’être des cas isolés, 22% des mères pourraient être considérées comme étant toxiques, selon une étude australienne réalisée par le centre de l’Université Macquarie dédié aux recherches sur la famille et les enfants.

“Avec elle, rien ne va jamais !”

“Dès l’adolescence, mon poids était au cœur de tous les problèmes : j’étais trop grosse pour que je mérite qu’elle m’achète des vêtements, trop grosse pour avoir des amis fréquentables, trop grosse pour qu’un garçon s’intéresse à moi ! J’étais même trop grosse pour devenir avocate !,” se souvient Caroline*, 27 ans, dont la mère n’a cessé de la rabaisser concernant son physique.

Celle de Charlotte*, 32 ans, voyait dans sa fille une rivale redoutable. “Elle n’a jamais supporté ma complicité avec mon père. Grosso modo, on partageait le même humour un peu beauf et, plus tard, la même formation/carrière dans la restauration. Elle était si jalouse et paranoïaque qu’elle a quand même insinué à maintes reprises que j’essayais de le lui voler”, se remémore-t-elle, visiblement encore abasourdie par de tels propos.

À l’inverse, celle de Juliette*, 31 ans, lui reproche depuis une dizaine d’années de ne rien faire “pour se trouver un homme”. “Mais qu’est-ce que tu vas faire toute seule ?”, l’assène-t-elle à chacune de ses visites, prête à lui inventer une vie amoureuse à Noël pour ne pas qu’elle soit “la honte de la famille”. “De toutes manières, de mes résultats à l’école à ma manière aujourd’hui de me coiffer : avec elle, rien ne va jamais !”, résume la jeune femme, dépitée, blasée, mais surtout blessée.

Silence et conséquences

Une souffrance d’autant plus destructrice qu’elle se révèle généralement indicible. “Beaucoup s’interdisent de le dire “à l’extérieur” et même de le penser, par loyauté vis-à-vis de celle qui les a mis au monde. Son image doit envers et contre tout être préservée de la réprobation”, explique Anne-Laure Buffet dans son ouvrage Les mères qui blessent  (Eyrolles, 2018).

Résultat ? Au nom de cette loyauté, beaucoup de maltraitances psychologiques, invisibles, sont passées sous silence et pire, intériorisées par l’enfant victime pour qui ces propos auront valeurs de croyances. Car comme le rappelle Terri Apter, qu’elle soit bonne ou mauvaise, la relation que l’on entretient avec sa mère aura une influence déterminante sur notre personnalité, nos comportements et nos agissements futurs. Une thèse confirmée par la plupart des victimes de mères abusives, comme le rapportent certains d’entre eux sur le compte Instagram collaboratif Parents toxiques, visant à soutenir ces ex-enfants maltraités.

Ma mère se fichait bien de ce que j’allais devenir. L’essentiel était que je ne la dérange jamais

“À 42 ans, je suis incapable de faire un câlin, je ne sais pas témoigner physiquement ou verbalement, mon affection”, témoigne cet anonyme qui a reçu des cris, des baffes, des réprimandes en signes d’attention de la part de sa mère violente.

C’est aussi une thématique que développera la réalisatrice Maïwenn dans son film Pardonnez-Moi (2006), par lequel elle dénonce l’attitude toxique de celle qui l’a enfanté : “Ma mère se fichait bien de ce que j’allais devenir. L’essentiel était que je ne la dérange jamais. Je continue. Je ne dérange jamais. Je suis comme ces petits chiens dans la publicité. Je fais là où l’on me dit de faire.”

Sentiment d’insécurité, estime de soi déplorable, confiance en soi inexistante, culpabilité diffuse voire violence et agressivité exercées à leur tour : les séquelles d’une telle enfance sont considérables et multiples.

Aux origines du mal

Au-delà de la monstruosité de leurs agissements, ces mères toxiques cachent en réalité un passé émotionnel souvent dramatique, empreint de failles psychologiques aux relents narcissiques. Terrorisées à l’idée d’être abandonnée, elles déchargent leur mal-être sur le seul être sur lequel elles peuvent exercer un contrôle complet et (presque) incontesté – leur enfant – inconsciente des traumatismes infligés.

“Elles ne changent pas et ne veulent pas changer, clamant haut et fort savoir ce qui est bon pour leur enfant, car c’est leur enfant. Elles n’évoluent pas, n’en ressentant ni le besoin ni l’envie”, explique Anne-Laure Buffet dans son ouvrage. “L’enfant est là, objet exposé ou animal de compagnie, qu’on bichonne pour le public et dont on tire la queue ou qu’on chasse d’un coup de pied lorsqu’il dérange. Elles n’assouvissent ni désir ni plaisir, si ce n’est celui d’avoir à défaut d’être. Elles ne portent pas de regard sur leur enfant, mais sur ce qu’il représente et doit être”, poursuit-elle, soulignant une volonté d’emprise dont il est difficile de se départir.

Faire le deuil de la mère

Difficilement envisageable tant que mère et enfants cohabitent sous le même toit, le rapport de forces peut toutefois s’inverser. “À l’âge adulte, le fils ou la fille peut être assez habile pour se mettre hors de portée du dilemme de la mère toxique, notamment par une distanciation géographique”, explique Terri Apter dans une interview du site Atlantico.

C’est ainsi que Caroline* a quitté le foyer familial alors à peine âgée de 16 ans, prétextant vouloir devenir bilingue et intégrer le système éducatif anglais, à plus de 1500 kilomètres de chez elle. “Ça ne m’a pas empêchée de continuer de souffrir de graves troubles alimentaires”, nuance la jeune femme, depuis revenue vivre en France et qui a opéré un processus de réconciliation avec sa mère, consciente que certaines de ses paroles aient pu être blessantes.

“Comprendre la relation aide à en vaincre le pouvoir et nous libère des opinions maternelles incohérentes et inadaptées. Quand nous le faisons l’esprit ouvert, avec de l’empathie envers nous-mêmes, nous avons de bonnes chances de vaincre cette sensation écœurante de nous croire fautifs parce qu’incapables de satisfaire à des exigences paradoxales”, détaille la psychologue.

Des experts incitent les victimes à contrecarrer cette toxicité en exprimant ce que l’on ressent à sa mère, à l’écrit ou à l’oral, et à raisonnablement faire le deuil de sa mère en tant qu’enfant. Certains ainsi leur pardonnent et d’autres, malgré de multiples tentatives de conciliation, se heurtent à de nouvelles violences psychologiques et finissent, comme Charlotte et Juliette, par réduire sensiblement les contacts, voire par couper les ponts. Pour retrouver, enfin, la liberté d’être qu’on leur a toujours refusé.

https://www.marieclaire.fr/,mere-toxique-psychologie-victime,842977.asp