Les mauvaises mères, ça existe
Ne sont-elles pas entièrement dévouées à leur enfant et prêtes à mourir pour le protéger ? Si la grande majorité des mères sont « suffisamment bonnes » – comme le disait le célèbre psychanalyste Donald Winnicott –, quelques-unes sont mauvaises, n’hésite pas à affirmer Gabrielle Rubin dans l’ouvrage qu’elle vient de publier (Ces mauvaises mères qu’on aime tant, éditions Esneval). Car de même qu’il existe un amour maternel équilibré, qui vise à laisser l’enfant se détacher peu à peu de soi pour reporter son amour vers d’autres personnes, il existe un amour maternel déséquilibré qui vise à garder l’enfant sous sa coupe. Le résultat ? « Qu’elles le détestent ou qu’elles l’étouffent d’un amour dévorant, certaines femmes sont des prédatrices qui volent la vie de leur enfant », constate Gabrielle Rubin.
Et les enfants, dans tout ça ?
« Tout le monde n’a pas la chance d’être orphelin », résumait Jules Renard dans une phrase terrible pour évoquer la douleur des enfants mal aimés. « Dès leur naissance, les enfants mal aimés sont pris dans une insoluble contradiction mentale » explique Gabrielle Rubin. « D’un côté, la réalité qui leur dit qu’ils ne sont pas aimés et, de l’autre, la certitude que l’inné a inscrite en eux : toute mère aime passionnément son bébé. » Si leur mère est parfaite et que, pourtant, elle ne les aime pas, il n’y a qu’une explication : c’est de leur faute, ils sont de mauvais enfants. « Dès lors, les petits mal-aimés contraignent à être des enfants très – trop – sages, travaillant bien, prêts à rendre service, acceptant les mouvements d’humeur et les injustices de leur mère sans révolte », poursuit la psychanalyste. Se révolter ? Ils n’y pensent pas. Ils sont déjà très contents de recevoir le peu qu’on leur donne et auraient trop peur de tout perdre. Leur vie durant, ces enfants garderont la certitude qu’ils sont indignes d’être aimés. Ils se feront tout petits, essayant de ne pas attirer l’attention sur eux.
Trop ou pas assez : les dégâts sont les mêmes
Mais si le manque d’amour est dévastateur, l’excès d’amour l’est tout autant. On connaît toutes des mères abusives qui répètent à leur enfant durant des années : « Je n’ai que toi au monde, tu es tout pour moi », dans le but – inconscient bien sûr – de s’attacher leur fils/fille pour la vie. Difficile pour ces enfants « raison de vivre » de s’autonomiser un jour ! Et c’est sans parler des mères séductrices, qui condamnent leur enfant à la solitude amoureuse dans sa vie d’adulte. Ou des mères dévorantes, qui vivent au travers de leur enfant tout ce qu’elles-mêmes n’ont pas vécu… et le condamnent à refouler ses propres désirs pour combler les leurs. Amour absent, insuffisant ou, au contraire, envahissant, étouffant, l’amour déséquilibré d’une mère peut plomber une vie entière. En témoignent ces paroles de mères et/ou de filles.
Témoignages
Laurence, 39 ans : « De mère en fille »
Ma fille ayant des problèmes de poids, je suis allée consulter un psy. Et de quoi avons-nous parlé pendant toute la séance ? De ma mère ! Ma mère pour laquelle j’ai longtemps été l’enfant parfaite, toujours première de la classe. Ma mère qui a vivement critiqué ma fille parce qu’elle n’était pas propre à 15 mois, parce qu’elle parlait « bébé ». Et à qui elle a décidé d’apprendre à lire avec une méthode bien connue de moi : taper sur la table, hurler jusqu’à ce que ça rentre. Eh oui, ça rentre. Mais quels dégâts ! Je pense que si aujourd’hui ma fille a un problème avec la nourriture, c’est en partie à cause de ma mère. Toute mon enfance bouillonne et me revient à la figure. Ce qui me révolte, c’est qu’elle ait réussi à toucher ma fille, juste parce qu’elle s’en occupe pendant les vacances !
Jessica, 32 ans : « J’ai peur d’être une mauvaise mère »
Une bonne maman aime ses enfants de façon inconditionnelle. Moi je m’emporte souvent et je culpabilise mes enfants. Je leur dis des choses horribles comme : « Bande de sauvages vous allez me faire mourir » ou « En venant au monde vous m’avez pourri la vie. » Quelle sorte de mère fait ainsi du mal à ses enfants ? Je ne joue pratiquement jamais avec eux. Je manque d’empathie quand ils se font mal ou qu’ils pleurent. Il m’arrive même de me moquer d’eux. La vérité, c’est que je ne sais pas être une mère pour mes enfants. Si j’écoutais mon cœur, je partirais seule très loin d’ici et j’essaierais de refaire ma vie. Je le ferais pour eux. Je sais que mes enfants seraient mieux sans moi.
Emmanuelle, 37 ans : « Je ne sais plus comment lui faire comprendre qu’il me rend malade »
J’ai 37 ans et ma mère me dévore. Elle m’appelle tous les jours pour se plaindre : « Mon amie Louise a dit que tu n’étais pas correcte, je ne vois presque pas Mimi (mon fils de 4 ans) et j’en souffre. » Elle est dépressive chronique. Mon fils est son unique raison de vivre (avant, c’était moi). Elle reprend chaque mot que je dis, me manipule, me culpabilise… et ça marche. J’ai essayé de lui parler plusieurs fois. Peine perdue. Je lui ai écrit. Ma lettre de 4 pages a été décortiquée, analysée, j’ai eu droit à une explication de texte hallucinante ! En ce moment, c’est une lutte de tous les jours car je prépare l’anniversaire de Mimi. Hier, elle m’a appelée pour changer la date de la fête ! Je suis à bout. J’aimerais qu’elle se rende compte de son comportement mais je suppose que c’est peine perdue…
Eugénie, 40 ans : « Laquelle de nous est toxique ? »
Ma mère a toujours voulu gérer ma vie, influencer mes choix. Je suis sa créature, sa chose. Lorsque je lui ai présenté l’homme que je souhaitais épouser, elle a tout fait pour m’en dégoûter. Quand j’ai été enceinte, elle m’a promis un enfant débile « comme ma belle-famille ». Et à présent qu’elle a trois petits-enfants, elle m’insulte si par malheur l’un d’eux tousse et n’est pas sous antibiotiques dans les 48 heures ! J’ai commencé une psychothérapie. Il fallait que j’en aie le cœur net : est-ce ma mère qui est toxique ou moi qui suis une mauvaise fille et une mauvaise mère ?